Il y a quatre ans, une collègue, plus jeune que moi et mère de quatre enfants a commencé à évoquer un hypothétique départ à la retraite. Je lui ai dit que, de mon côté, je n'y songeais pas. L'idée ne m'avait même pas effleurée.
Il y a deux ans, cette même collègue a commencé à vraiment se renseigner. Je lui ai dit que de mon côté, je ne pouvais pas. Question de trimestres cotisés et d'enfants étudiants encore à charge (3).
Il y a un an, j'ai fait un peu plus attention à ce qu'elle me racontait. Nous vivions des événements difficiles au travail et j'avais de plus en plus l'impression d'être prise pour une con idiote. A cette période, lors d'une réunion avec le Grand Chef et l'équipe au complet, j'ai déclaré haut et fort (à mon immense étonnement!), que ses méthodes me donnaient "envie de me tirer ainsi que me le permettait mon devoir accompli, c'est-à-dire mes trois enfants". A la sortie de cette réunion j'ai réalisé ce que mon insconscient me dissimulait soigneusement: prendre ma retraite était concrètement possible!
De ce moment, j'ai commencé à mettre à jour mon dossier en ligne, faire enregistrer mes enfants (et hop! 24 trimestres gagnés en un clic!), vérifier l'exactitude de mon relevé de carrière...Comme ça... L'air de rien...Pour voir...
Je me suis aperçue que je pouvais partir si je le voulais. Du moins en théorie. Je n'en avais pas vraiment envie. Enfin...j'étais quand même tentée... Ce qui me retenait était uniquement le côté financier. Je gagne enfin bien ma vie. Certes en travaillant beaucoup, mais on ne tire plus le diable par la queue comme il y a quelques années.
J'ai dit: "j'attends encore un peu, que mon Grand soit autonome".
Et puis, Petite Chef est arrivée. A celles qui s"inquiétaient: "Une femme chef, c'est des emmerdes en perspective. Faut se méfier!", la femme moderne répliquait: "M'enfin! Une femme au contraire, c'est super!". Naïve que j'étais!
Premier entretien avec elle. Elle s'étonne de mon âge. Pardi! Elle a tout juste dix ans de moins que moi et fait largement dix de plus que le sien. Et comme moi, j'en fais dix de moins que le mien...vous me suivez? Bref!
Moche, mal fagotée, peu souriante, d'une élocution lente et agaçante...J'ai cru à une animosité spontanée inspirée par la jalousie féminine, d'autant plus que sa deuxième remarque a porté sur la chance que j'ai que mes enfants comptent pour ma retraite alors qu'elle non, car elle les a mis au monde pendant ses études. Info erronée d'ailleurs!
Peu à peu, pendant la conversation, j'ai compris qu'elle était agacée par ma personnalité. Je suis vive, spontanée, directe. Je m'exprime facilement et mes 30 ans de bons et loyaux services dans la boîte me permettent d'être plutôt sûre de moi. Il m'arrive de braquer les gens qui me trouvent extravertie mais la plupart du temps, je noue des relations chaleureuses avec autrui.
Ancien Chef (ne pas confondre avec Grand Chef qu'on ne voit qu'en situation de crise) avait ses partisans et ses détracteurs, comme tout chef. Il a été viré en moins d'une semaine, sans que nous arrivions à savoir pourquoi. Personnellement, je n'étais pas parmi ses proches mais je m'entendais plutôt bien avec lui. C'est un bon vivant, un peu nonchalant peut-être mais très abordable et qui m'a laissé une très grande liberté dans l'exercice de mes fonctions. Je n'ai jamais su si c'était une vraie marque de confiance ou une façon de s'épargner du travail. Quoi que je lui demande j'avais toujours son aval. Je pencherais tout de même pour la première solution car pendant son horrible semaine d'éviction, il s'est rapproché de moi, ainsi que d'une de mes meilleures collègues/copines. Il nous a confié des détails très confidentiels sur sa situation et ses perspectives d'avenir.
Avec cette histoire, nous avons connu des clans pour la première fois au sein de l'équipe et certaines péronnelles nouvelles venues (dans l'esbrouffe et pleines de mépris pour les "anciens") se sont attaché les bonnes grâces de Petite Chef, qui contrairement à Ancien Chef, avait trop peu de jugeotte pour se rendre compte de la réalité.
Nous avons perdu beaucoup de la chaleur humaine et de la bonne ambiance qui régnaient au travail. Chacune de nos conversations, y compris privées, ont été rapportées. Travailler dans ces conditions, avec des conflits larvés, des points de vue systématiquement divergents, un oeil de Moscou à chaque coin de pièce, des mises à l'écart de certaines personnes, a commencé à devenir très pénible, d'autant plus que nous n'étions pas remis émotionnellement du départ brutal d'Ancien Chef .
A la fin de mes vacances d'été, j'ai reçu un mail de Petite Chef, qui modifiait mon planning et me faisait venir un jour de plus au travail alors que l'arrangement dont je bénéficiais depuis 30 ans était de pouvoir travailler un jour à la maison en échange de plus de temps chaque jour sur place. Il en a toujours été ainsi pour les gens qui viennent de loin (70 km pour moi). Elle n'avait intégré ses fonctions que deux mois auparavant!
A mon mail de protestation, cette brave dame répondit qu'en quelque sorte j'étais une tire-au- flanc et que si je n'étais pas contente je n'avais qu'à m'en aller. Hélas pour elle, mes états de service sont irréprochables, les plébiscites des clients à mon égard innombrables et les témoignages de mes collègues aussi nombreux. Se rendant sans doute compte qu'un écrit reste, et qu'elle s'était ridiculisée, elle a finalement fait volte-face, mais seulement sur l'organisation de ma semaine.
A la première réunion de rentrée, deuxième bourde: elle nous présente le nouvel organigramme. Deux personnes oubliées: une collègue qui ne se laisse pas faire, comme moi et... moi! Acte manqué sans doute, plus que volontaire à voir la couleur tomate de son visage quand je lui ai fait remarquer sa gaffe. Il faut le faire quand même pour omettre la personne qui est là depuis si longtemps et qui siège au comité de direction depuis plus de 20 ans!
Pour finir sur les origines de mon envie d'une nouvelle vie, je dirais que par la suite, nos relations se sont apaisées car d'une part elle s'est rendu compte que ce que les péronnelles lui avaient dit à mon propos étaient fausses, que je lui suis très utile, surtout au regard de ses difficultés de communication, que j'abats plus que la charge de travail qui m'est impartie et sans compter mes heures. Je pense aussi qu'elle se démarque peu à peu de Grand Chef, qui avait dû me signaler comme la femme à abattre.
Mais il est trop tard, le ver a été mis dans la pomme si je puis dire. L'idée de partir a fait son chemin dans ma tête. Quelle jouissance d'assister à ses vaines tentatives pour me convaincre de rester! Quelle bonne petite vengeance innocente!
Reste à sauter le pas. Pour l'instant, je n'ai pas encore validé ma demande auprès des services compétents. J'expliquerai pourquoi dans un autre billet, celui-là est déjà trop long...